L'EUROPE MERKAVIEL

Ulrich Beck, auteur de l’Europe Allemande est chargé de mission Allemagne à Notre Europe-Institut Jacques Delors. Ulrich Beck consacre une grande partie de son ouvrage à développer ce qu’il appelle le « modèle Merkiavel ». Selon Nicolas Machiavel, « le prince ne doit tenir sa parole donnée hier que si elle peut lui apporter des avantages ». Si l’on transpose cette maxime à la situation actuelle, cela donne : « il est possible de faire aujourd’hui le contraire de ce que l’on a annoncé hier, si cela augmente les chances de gagner les prochaines élections ».

Angela Merkel a su « saisir l’occasion pour modifier les relations de force en Europe ». Considérée par certains comme « la reine non couronnée d’Europe », elle tient sa force de son hésitation, tout au long de la crise, à agir mais aussi de sa capacité à changer d’avis par opportunisme politique interne, comme en témoignent les exemples de la sortie du nucléaire ou encore l’acceptation des « euro-bonds ».

Selon Ulrich Beck, le « modèle Merkiavel » repose sur quatre composantes destinées à s’auto-renforcer :

  • Quand il s’agit d’aider les pays endettés, Angela Merkel n’adopte pas un oui ou un non franc mais plutôt un « mouais ». Elle veille ainsi à ne privilé­gier ni les « architectes de l’Europe », qui récla­ment des garanties allemandes, ni les « souve­rainistes », qui s’opposent à toute aide. Elle se laisse les deux options ouvertes et préfère condi­tionner l’octroi de crédits « à la disposition des pays endettés à accepter les conditions de la poli­tique allemande de stabilité
  • Selon Machiavel, pour que le prince puisse faire passer sa position, il doit « faire preuve de vertu, d’énergie politique et de pugnacité ». Or, « le pouvoir de Merkiavel repose sur le désir de ne rien faire, sur son penchant pour le ne-pas-encore-agir, à agir plus tard, à hésiter ».  Cet art de l’atermoiement sélectif, ce mélange d’in­différence, de refus de l’Europe et d’engagement européen est à l’origine de la position de force de l’Allemagne dans une Europe malmenée par la crise ».

Ainsi, Angela Merkel a su perfectionner cette domination contre son gré, en pratiquant une politique d’hésitation, et l’Allemagne est      devenue une puissance hégémonique en Europe grâce à sa puissance économique, et non par les armes.

  • Angela Merkel a par ailleurs réussi « la quadra­ture du cercle : réunir en une seule et même per­sonne la capacité à être réélue dans son propre pays et à passer en même temps pour une archi­tecte de l’Europe ». « Cela veut dire que toutes les mesures nécessaires au sauvetage de l’euro et de l’Union européenne doivent d’abord réus­sir leur test d’aptitude à l’intérieur des frontières allemandes » et donc « être propices aux inté­rêts de l’Allemagne et à la position de force de Merkel ».

Machiavel demande dans Le Prince s’il est préfé­rable d’être aimé ou d’être craint : « La réponse est qu’il faudrait l’un et l’autre, mais comme il est difficile d’accorder les deux, il est bien plus sûr d’être craint qu’aimé, si l’on devait se passer de l’un deux ». Angela Merkel applique à nouveau ce principe : « elle veut être crainte à l’étran­ger et aimée dans son pays », ce qui passe par la formule « néolibéralisme brutal à l’extérieur et consensus teinté de social-démocratie à l’inté­rieur », qui lui a permis de renforcer sa position de force et celle de « l’Europe allemande ».

  • Enfin, Angela Merkel veut « imposer à ses par­tenaires ce qui passe pour être une formule magique en Allemagne au niveau économique et politique (…) : Économiser au service de la stabi­lité ! ». Mais il s’agit « d’un néolibéralisme d’une extrême violence [coupes claires au niveau des retraites, de la formation, de la recherche, des infrastructures, etc.], qui va maintenant être intégré dans la Constitution européenne sous la forme d’un pacte budgétaire – sans faire cas de l’opinion publique européenne (trop faible pour résister) ».

Ces quatre composantes constituent donc le « noyau dur » de l’Europe allemande. Il convient par ailleurs d’ajouter qu’Angela Merkel a même trouvé la « situa­tion d’urgence à laquelle le prince doit être capable de réagir : l’Allemagne comme ‘aimable hégémon’ (…) se voit contrainte de placer ce qui résulte d’un danger au-dessus de ce qui est interdit par les lois ». « Pour élargir à toute l’Europe, et de façon contrai­gnante, la politique d’austérité de l’Allemagne, les normes démocratiques peuvent, selon Merkiavel, être assouplies ou même contournées ». Les déci­sions ne sont donc pas prises démocratiquement mais sont le résultat d’une puissance économique.

Toutefois, « la méthode Merkiavel touche[rait] peu à peu ses limites, car il faut bien reconnaître que la politique d’austérité allemande n’a pour l’instant enregistré aucun succès. Au contraire : la crise de l’endettement menace maintenant aussi l’Espagne, l’Italie et peut-être même bientôt la France ». Un contre-pouvoir pourrait ainsi voir le jour pour trou­ver une alternative à la politique de la chancelière allemande « souvent très populiste, surtout axée sur les seuls intérêts allemands et motivée par la peur de l’inflation ». Cette alternative pourrait « se cale[r] davantage sur la politique de croissance de la Banque centrale américaine ».

 

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