A PROPOS DU SOIT-DISANT DIKTAT DE BRUXELLES ?

Les actes législatifs qui s’imposent à tous les États membres de l’Union européenne ne le sont que sur proposition de la Commission, seule à en avoir l’initiative (hors rares exceptions précisées dans les traités), et après une adoption conjointe du Parlement européen et du Conseil (de l’Union européenne), y compris les amendements de groupes parlementaires.

Sans un accord de ces deux dernières institutions, qui regroupent d’une part les ministres des pays membres et de l’autre les députés européens élus au suffrage universel dans chaque pays membre, aucun règlement, aucune directive, ne peuvent être adoptés et s’imposer aux pays membres. Le Parlement européen ne peut pas faire de propositions d’actes législatifs (sauf sur recommandation de la BCE, à la demande de la Cour de justice européenne ou de la BEI, initiative citoyenne européenne, etc.), ne contrôle pas l’action des gouvernements, et n’évalue pas les politiques publiques. Comme toute institution européenne, il n’interfère pas dans la souveraineté de chaque État membre. Il partage une codécision avec le Conseil sur des actes législatifs tandis que la Commission n’a que l’initiative des actes législatifs règlements et directives conformes aux objectifs des traités et, parmi ses fonctions, veille à l’application des engagements issus des traités et des actes législatifs adoptés, et peut émettre des recommandations ou des avis pour étude ou formuler des décisions individuelles (tout comme le Conseil et le Parlement européen)

Les actes législatifs permettent d’atteindre les objectifs fixés dans les traités dans des domaines bien définis : la libre circulation des travailleurs, le droit d’établissement, les services, le marché intérieur de l’Union européenne, l’éducation (Erasmus, etc.), la santé (carte européenne d’assurance-maladie, etc.), les consommateurs, les réseaux transeuropéens, l’environnement, la culture et la recherche. Les actes législatifs n’ont aucune incidence sur la souveraineté nationale de chaque État membre dans la gestion de son propre pays. C’est à chaque État de décider de sa politique, de ses propres priorités, et des moyens dont il veut se doter pour y parvenir.

Ainsi, Bruxelles n’est pas responsable des choix du Président de la République française.  Bruxelles n’est pas non plus responsable des effets induits de la politique de la France : la hausse du taux de chômage, l’absence de compétitivité et de croissance, l' augmentation du déficit public etc. Affirmer que 80% des lois françaises viennent de l’Europe est une pure fiction.( Une étude rendue publique par la fondation Terra Nova estime à entre 10 et 25% la part du droit français issu des textes européens).

Les ressources financières de l’Union européenne, qui reposent sur 0,73 % du revenu national brut de chaque pays membre, des droits à l’importation sur les produits en provenance des pays non membres, et d’un pourcentage de l’assiette de la TVA harmonisée de chaque pays, sont uniquement adoptés par le Conseil dans un budget pluriannuel dont les budgets annuels doivent respecter le cadre. Les députés européens ne sont pas habilités dans ce domaine et ne peuvent réduire la contribution au budget d’un pays. Seul un accord unanime des 28 pays membres peut y apporter quelques modifications temporaires ou définitives car toute baisse de contribution d’un pays, directe ou par effet secondaire avec une baisse de TVA, doit être compensée par d’autres membres. Le budget de l’UE fixé à l’avance ne peut être déficitaire, contrairement aux budgets nationaux. Chaque demande doit être justifiée et prouvée dans son fondement.

Dans cette propension à l’interprétation farfelue des règles européennes, les opposants à l’UE transforment Bruxelles en suppôt d’austérité alors que la Commission et le Conseil ne font qu’appliquer les mesures prévues en cas de non respect des engagements contractuels issus de la signature notamment du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG).

La France a approuvé et fait ratifier ce traité par le Parlement français, ce contrat le liant aux autres partenaires européens, et s’est engagée au sérieux budgétaire. Le gouvernement n’ayant pas tenu ses engagements et ne parvenant pas à réduire le déficit public, la Commission et le Conseil en application de l’article 5 du TSCG pourraient contrôler la gestion budgétaire de la France, voire veiller à l’application de l’Article 126 (ex-article 104 TCE) alinéa 11 du Traité de Lisbonne qui précise que le Conseil peut « exiger de l’État membre concerné qu’il publie des informations supplémentaires, à préciser par le Conseil, avant d’émettre des obligations et des titres », « inviter la Banque européenne d’investissement à revoir sa politique de prêts à l’égard de l’État membre concerné », « exiger que l’État membre concerné fasse, auprès de l’Union, un dépôt ne portant pas intérêt, d’un montant approprié, jusqu’à ce que, de l’avis du Conseil, le déficit excessif ait été corrigé », « imposer des amendes d’un montant approprié ».

Un contrôle budgétaire ce n’est pas un ordre obligeant un État à mettre en place des mesures préconisées par l’UE mais une surveillance sur l’impact réel des mesures choisies en toute souveraineté par un État. Un traité est un contrat entre États et tout manquement à un traité peut finir devant la Cour de justice européenne (Article 258 (ex-article 226 TCE) du Traité de Lisbonne). Un contrat est un contrat et Bruxelles n’est pas responsable du non respect de la France de ses engagements contractuels.

Quels que soient les avis sur le fonctionnement ou les attentes de l’Union européenne, le soit-disant diktat de Bruxelles n’est qu’un fantasme entretenu par des partis politiques qui se servent de l’ignorance de leurs électeurs pour obtenir les voix qui leur font défaut dans leur ascension au pouvoir. Le diktat de Bruxelles n’est qu’un recours à un responsable imaginaire qui les dédouane de véritables solutions économiques et politiques pour la France, voire d’un bon diagnostic sur la situation de la France. L’Union européenne n’est pas un État-providence, ni même un État tout court. Elle est un espace de libre-échange, de coopération, et de mutualisation de moyens. Elle est un collectif européen qui, entre autres, préserve la liberté de circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes, ainsi qu’une concurrence libre et non faussée. Les politiques communes industrielles, pour l’innovation et la recherche, pour la croissance et l’emploi, etc. sont déjà définies par le Conseil Européen (chefs d’État ou de gouvernement) et sont dotés de fonds par le Conseil dans le budget présenté au Parlement européen pour son adoption . Les entreprises, les associations et collectivités locales peuvent en bénéficier si elles en font la demande.

Les députés européens peuvent dire « non » à des actes législatifs qui dès lors ne seront pas adoptés. Ils peuvent dire « non » au montant et à la ventilation des dépenses prévues dans le budget européen mais dans ce cas, et tant qu’il n’y aura pas un accord avec le Conseil, l’article 315 (ex-article 273 TCE) du Traité de Lisbonne s’appliquera au détriment, entre autres, de la PAC dont la France est l’une des principales bénéficiaires : « Si, au début d’un exercice budgétaire, le budget n’a pas encore été définitivement adopté, les dépenses peuvent être effectuées mensuellement par chapitre, d’après les dispositions du règlement pris en exécution de l’article 322, dans la limite du douzième des crédits ouverts au chapitre en question du budget de l’exercice précédent, sans pourvoir dépasser le douzième des crédits prévus au même chapitre dans le projet de budget. » Ils peuvent aussi dire « non » à la Commission par une « motion de censure » avec les 2/3 des 751 députés (dont 74 français) la forçant à démissionner. Mais ces « non » ne changent rien à ce qui a déjà été adopté auparavant car les députés européens ne peuvent pas dire « non » à l’application d’un traité signé par les pays membres et ratifié, soit par leur Parlement soit par référendum, de même qu’à toutes les dispositions qui en sont issues.

Dire « non » à Bruxelles n’est qu’un raccourci vide de sens qui cache d’autres ambitions. Dire « non » à Bruxelles mais « oui » à ses sièges est devenu une stratégie politique. La présence de ces députés opposés à l’UE n’a jamais altéré le fonctionnement de l’UE, mais elle leur permet de bénéficier des largesses financières de l’Union européenne. Pour les partis nationaux opposés à l’UE, avoir le plus grand nombre de députés européens n’est au fond qu’un moyen d’accroître le bénéfice des largesses financière de l’UE par le biais d’un groupe parlementaire et d’un parti européen. Faire campagne sur l’UE en s’opposant à elle, c’est faire de facto une campagne nationale payée par les contribuables européens.

Faire croire à un état de siège de la France par Bruxelles pour prendre des sièges au Parlement européen et lui faire payer des ambitions nationales, est révélateur de l’imposture politique qui anime tous les partis opposés à l’Union européenne dont la seule ambition est l’accession au pouvoir de leur pays. Ce ne sont pas les députés européens qui peuvent faire sortir un pays de l’UE. Seul un chef d’État, ou de gouvernement, avec l’accord de sa population, peut avoir recours à l’Article 50 alinéa 1 du Traité de Lisbonne : « Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union ».

 

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