PANORAMA DU LOBBYING EN FRANCE

D’une manière générale, on constate un manque d’informations quantitatives ou qualitatives disponibles sur les acteurs du lobbying en France. Néanmoins, les registres parlementaires ainsi que la liste des membres des associations de lobbyistes: Association Française des Cabinets de Lobbying (AFCL), réseau BASE (Business Action et Stratégie Européenne), Association professionnelle des Responsables des relations avec les Pouvoirs publics (ARPP), Association des Avocats Lobbyistes (AAL) permettent de réunir quelques informations. Il est toutefois aujourd’hui impossible de quantifier avec exactitude le nombre réel de représentants d’intérêts exerçant une activité en France.

Le nouveau registre de l’Assemblée nationale, mis en ligne le 1er janvier 2014, recense, au 1er septembre 2014, 162 organisations (40 entreprises, 37 associations d'entreprises, 27 cabinets de conseil, 28 organisations représentatives, 17 organisations de la société civile, 7 organismes publics ou parapublics, 5 entreprises publiques et 1 think tank).

Le total des budgets déclarés par ces organisations est compris entre 14 et 18,2 millions d’euros. Au total, 733 personnes sont titulaires d’une carte de représentant d’intérêts ou participent aux activités qui relèvent du champ d'application du registre.

Au Sénat, seulement 97 représentants d’intérêts sont inscrits en septembre 2014. L’inscription s’y fait sur une base annuelle, mais rien n’est prévu pour rappeler aux représentants d’intérêts que leur inscription doit être renouvelée. Sur ces 97 inscrits, 44 ne sont pas inscrits sur le registre de l’Assemblée, dont 23 organisations représentatives (notamment des associations d’élus et des fédérations professionnelles), 8 organismes publics, 9 entreprises, 3 sociétés de conseil et 1 association.

Ces chiffres très faibles doivent être mis en perspective avec une étude originale publiée en mars 2011 par Transparency France et Regards Citoyens, qui portait sur les rapports publiés par l’Assemblée entre 2007 et 2010. Elle avait permis d’identifier 4 635 organisations, représentées par 15 447 personnes, mentionnées en annexe des rapports parlementaires. Près de la moitié des auditions organisées par des députés concernaient des acteurs publics ou parapublics (48,3%). Or ceux-ci ne sont pas tenus de s’inscrire sur les registres. Dans la mesure où 62% des rapports identifiés ne comportaient pas de liste des personnes auditionnées, on peut également imaginer, de ce seul point de vue, que leur nombre est considérablement plus élevé. D’autant que les auditions ne sont qu’une partie des voies que peut prendre le lobbying. Une autre étude réalisée en 2011 par des étudiants de Sciences Po pour Transparency France avait également permis de recenser, sur la base des informations données sur les sites des associations de lobbyistes, 47 cabinets de conseil. A ces 47 cabinets spécialisés s’ajoutent certains cabinets de relations publiques qui ont souvent un département dédié aux affaires publiques, ainsi que les cabinets d’avocats, de plus en plus nombreux à exercer des activités de lobbying. En 2014, l’Association des avocats lobbyistes, créée en 2011, compte ainsi 21 membres (cabinets ou avocats). Pour ce qui concerne les représentants d’intérêts « in house », l’ARPP comptait, en 2011, 58 entreprises et 56 organisations professionnelles.

Du fait de l’absence d’informations exhaustives sur les acteurs du lobbying, il est difficile d’établir précisément l’influence réelle ou supposée des différentes catégories d’acteurs sur l’élaboration des politiques publiques. L’étude, réalisée par Transparency France avec Regards citoyens sur l’influence à l’Assemblée nationale, permet de dégager certaines tendances, même si elle ne révèle qu'une partie émergée des nombreuses formes que prend le lobbying. Elle ne concerne que l’Assemblée nationale. Selon cette étude, près de la moitié (48,3%) des 9302 auditions identifiées concerne des représentants du secteur public ou parapublic. Parmi eux, la moitié (44,8%) appartient aux différentes fonctions publiques (nationales, territoriales ou étrangères), consultées en tant qu’experts de l’administration. Les fonctionnaires représentent ainsi 21,6 % de l’ensemble des auditions. Suivent ensuite les organisations représentatives (associations professionnelles, syndicats, chambres consulaires, associations d’élus...), puis le secteur économique privé composé des entreprises, associations d’entreprises (20,9%). S’y ajoutent aussi les entreprises publiques (2,9%). Comparées à la proportion d’autres organisations de la société civile (associations à but non lucratif et fondations, soit 7,5%), les positions des entreprises semblent donc être plus entendues par les parlementaires.

En fonction du secteur concerné, les catégories d’acteurs consultés par les décideurs publics peuvent varier. L’étude sur l’influence à l’Assemblée nationale révèle que les organismes publics sont le premier type d’acteur auditionné par les députés et ce, pour la plupart des 30 thématiques abordées dans les rapports de l’Assemblée nationale. Pour certaines thématiques, des catégories d’acteurs se distinguent néanmoins. Les organisations représentatives sont majoritaires pour les thèmes : éducation (53,2%), fonction publique (45,6%, à égalité avec les organismes publics), sport (45,5%) et femmes (39,4%). Par rapport à la moyenne globale, le secteur économique privé est en proportion plus présent dans les rapports traitant d'Internet (44,6%), de l'économie (37,8%), de l'énergie (34,3%), de l'environnement (29,7%), des médias (29,2%), de la culture (28%) et des transports (25,5%). Sur les deux premiers thèmes, le secteur économique privé arrive en première position. Les organisations de la société civile sont plus présentes dans les rapports portant sur les anciens combattants (31,6%), les aides au développement (27,6%), la société (18,5%) et les femmes (15,2%). En comparaison, elles ne représentent que 9,3% des acteurs auditionnés pour les rapports relatifs à l’environnement. Elles sont encore moins entendues sur les questions relatives à l’agriculture (5,8%), à l’économie (5,1%), à la défense (2%), aux transports (2,8%), au travail et à l’emploi (2,8%) ou à la recherche (2,1%).

En matière d’encadrement du lobbying, la France se caractérise étrangement par l’existence de deux dispositifs différents au Parlement : l’un à l’Assemblée nationale, l’autre au Sénat  et par la quasi absence de règles dans les autres lieux de la décision publique. Par ailleurs, les cadres d’intégrité sont différents d’une catégorie d’acteurs publics à une autre. Du fait de la séparation des pouvoirs, les règles de conduite applicables aux agents publics dépendent de lois et règlements différents de ceux applicables aux parlementaires. Les autres lieux  de la décision publique (administration centrale, ministères, cabinets ministériels, conseillers du Président de la République, agences d’expertise, autorités indépendantes, collectivités locales) n’ont, pour l’instant, presque aucune règle spécifiquement dédiée au lobbying.

Si les questions d’encadrement du lobbying et de transparence de la vie publique commencent à émerger, les règles restent encore très hétérogènes d’une institution à l’autre.

Aucune loi ne définit ni ne règlemente les activités de lobbying en France. L’empreinte législative n’est pas non plus une pratique répandue au sein des institutions françaises.

Si des règles relatives au lobbying existent à l’Assemblée nationale et au Sénat, elles ne portent que sur une petite part des relations entre les représentants d’intérêts et les parlementaires. Plus important encore, le contrôle du respect effectif de ces règles est à suivre dans sa réalité (25% à l’Assemblée nationale et 6% au Sénat) et aucun mécanisme de saisine, pouvant être actionné par les citoyens, n’a été instauré.

En matière d’accès à l’information, une loi prévoit, depuis 1978, le droit d’accès aux documents administratifs, mais elle reste méconnue et mal appliquée. Cette loi ne s’applique par ailleurs pas aux documents législatifs et autres travaux parlementaires. Les sites de l’Assemblée nationale et du Sénat permettent néanmoins de suivre de plus en plus les travaux parlementaires (agendas des séances et des réunions des commissions, liste des amendements, comptes-rendus des débats, vidéos…). Un effort doit encore être fait pour publier ces informations dans un format ouvert, facilitant leur réutilisation, et en temps réel.

Les parlementaires ne sont visés par aucune règle d’après-mandat. Ils peuvent même continuer à exercer des activités de conseil (et donc de lobbying) pendant leur mandat  à partir du moment où ils les exerçaient avant le début de leur mandat  ou, par exemple, à devenir avocat d’affaires pendant leur mandat. Pour les autres responsables publics en revanche, il existe un cadre régissant le passage des agents publics dans le secteur privé. La législation sur la prise illégale d’intérêts prévoit ainsi un délai de trois ans entre la fin d’une fonction publique et le passage dans une entreprise que la personne avait, auparavant, la charge de surveiller ou de contrôler. Cette interdiction s’applique à tous les agents publics dont les conseillers des cabinets ministériels et de l’Élysée et, depuis la loi sur la transparence, aux membres du gouvernement et aux principaux exécutifs locaux. Cependant, dans la pratique, elle n’est pas toujours respectée, son application étant relativement complexe.

Pour leur part, les représentants d’intérêts sont, en règle générale, plutôt favorables à l’autorégulation (50%). Au cours des vingt dernières années, ils se sont dotés de leurs propres codes de conduite via notamment leurs associations professionnelles. Les entreprises commencent elles aussi à se doter et à rendre publiques des chartes de lobbying responsable.

Enfin, sur les questions d’équité d’accès, la France a, encore beaucoup de chemin à parcourir. Des procédures formelles de consultation existent, mais elles sont très hétérogènes  par exemple d’un ministère à l’autre et complexes. Plusieurs lois et décrets prévoient l’organisation de consultations par les autorités administratives ou via des commissions consultatives et des consultations publiques sur Internet. Les principales faiblesses relevées par le Conseil d’État sont que ces consultations interviennent souvent trop tard, sans aucun délai de réponse et avec des avis souvent peu pris en compte. Les contributions reçues ne sont souvent pas rendues publiques. L’administration et les autres initiateurs de consultations n’ont pas l’obligation de dire quels arguments ont été ou n’ont pas été pris en compte (aucun droit de suite), ce qui peut décourager les acteurs à participer à des processus consultatifs ou participatifs. Enfin, lorsque des consultations sont organisées, l’équilibre des intérêts représentés n’est pas suffisamment garanti (10%).

Au Parlement, des consultations sont la plupart du temps organisées sur les textes en préparation. Cependant, aucune procédure n’étant formalisée, les conditions de consultation ne sont pas claires, ce qui rend difficile une véritable participation d’un grand nombre d’acteurs de la société civile ou de citoyens à l’élaboration des lois et des politiques publiques (25%).

Recommandations (TI)

Règles à définir pour les décideurs publics et les lieux de décision et d’expertise publique.

  1. Systématiser l’organisation de processus transparents et harmonisés de consultation publique favorisant l’accès de la société civile.
  2. Publier les positions , argumentaires et autres éléments d’information reçus par les décideurs publics.
  3. Rendre publique la liste de l’ensemble des personnes et organisations consultées pour la rédaction d’un rapport ou la préparation d’un texte.
  4. Mettre en ligne l’agenda des rencontres entre décideurs publics et représentants d’intérêts.
  5. Veiller à l’application effective des règles sur le ‘pantouflage’ et l’étendre de manière adaptée aux parlementaires.
  6. Instaurer un organe de contrôle commun pouvant être saisi par les citoyens, notamment en cas de fausse déclaration sur le registre ou de dérives, à l’instar du mécanisme de plainte du registre européen.

Règles spécifiques au Parlement

  1. Iscrire des règles relatives au lobbying, communes aux deux assemblées, dans les Règlements.
  2. Accroître la transparence des clubs parlementaires, ainsi que celle des colloques dits ‘parlementaires’ par une obligation ’information sur les activités conduites et les sources de financement.
  3. Créer un statut pour les collaborateurs et les soumettre aux mêmes règles de déontologie que les parlementaires, notamment l’interdiction de recevoir une rémunération ou avantages par des tiers pour des activités de lobbying, de conseil ou de veille parlementaire.

Règles à définir pour les représentants d’intérêts

  1. Inscrire ses engagements, pratiques et processus de lobbying dans sa politique de responsabilité sociétale ; conduire ses actions de lobbying en cohérence avec les engagements pris au titre de la RSE et à l’égard des autres parties prenantes.
  2. Adopter et rendre publique une charte de lobbying responsable applicable à l’ensemble des collaborateurs et aux tiers exerçant des activités de lobbying pour le compte d’une organisation.
  3. Rendre publique les principales positions communiquées aux décideurs publics.
  4. S’abstenir de tout mandat politique national ou européen et de toute fonction de collaborateur parlementaire, de conseiller ministériel, de fonctionnaire national ou international, en parallèle d’une mission de représentants d’intérêts.
  5. S’interdire de recruter des anciens décideurs publics avant la fin du délai de carence prévue, de mandater ou de rémunérer des personnes exerçant des responsabilités publiques pour représenter ou favoriser ses intérêts.
  6. Ne pas diffuser d’informations délibérément biaisées et assurer aux décideurs publics des informations ou arguments fiables, véritables et actualisés.
  7. Assurer la transparence financière ses activités de lobbying.

 Note: Please see English Version under the title 'LOBBYING LANDSCAPE IN FRANCE'

 

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