QUESTION EXISTENTIELLE POUR LA ZONE EURO
- Divergence actuelle des taux d’intérêt au sein de la zone monétaire.
- La BCE, les banques centrales nationales et les banques commerciales de la zone euro détiennent environ 40% de la dette de certains États, un montant considérable qui est trois fois plus important qu’aux États-Unis. C’est une situation qui est doublement paradoxale. D’abord, parce que le lien entre les banques et les États n’a jamais été aussi fort alors même que les dirigeants européens prétendaient couper ce lien avec l’Union bancaire. Ensuite, parce que la détention de dettes publiques par les banques, pour des montants aussi importants, interdit de fait une restructuration de dettes. Ce serait conduire les banques à la faillite.
- La politique d’achat de dettes publiques par la BCE va se heurter très vite à un obstacle juridique. En décidant de supprimer la règle limitant à 33% la part qu’elle détient dans la dette d’un pays, la BCE va provoquer de nouvelles actions judiciaires. La Cour de Justice européenne avait en effet validé la présence de cette règle pour autoriser la politique de quantitative easing. La Cour de Karlsruhe doit en principe se prononcer à son tour le 5 mai prochain. Le recours au bazooka des achats de dettes souveraines, par la BCE et par les banques, risque de devenir plus délicat. Il a permis de gagner du temps. Mais les problèmes de fond demeurent. Aucune des conditions indispensables au bon fonctionnement d’une zone monétaire n’est actuellement en place.
- L’Union de transferts financiers n’existe pas, même à titre symbolique. Les Allemands considèrent que les États ne doivent compter que sur eux-mêmes. Un État qui a fauté doit payer le prix de ses erreurs.
- La zone monétaire est vide de contenu, sans budget et sans vision commune.
- Le seul budget témoignant d’une solidarité financière, en dehors des plans de sauvetage, est extérieur à la zone euro. C’est le budget de l’Union européenne qui est très modeste puisqu’il représente moins de 1% du PIB. Peut-être est-ce ce budget qui sera utilisé pour élaborer le plan de relance européen. Mais, cette décision ne modifierait en rien les problèmes de la zone euro. Au contraire, cela soulignerait un peu plus à quel point la zone monétaire est vide de contenu, sans budget et sans vision commune. Les économistes considèrent qu’un budget de la zone euro permettant de faire face aux chocs asymétriques, aux spécificités historiques et aux divergences des politiques économiques devrait représenter environ 20% du PIB et, au strict minimum, 5% .
- Face au choc exceptionnel de la crise pandémique, la solidarité n’est que très timidement au rendez-vous. La dernière réunion de l’Eurogroupe a certes permis d’arrêter un programme de 500 milliards d’euros. Cependant, on observe dans le détail que ce programme ne comporte pas de transfert de fonds des États mais seulement la délivrance de garanties (deux fois 25 milliards d’euros) et une autorisation de tirage sur des lignes de crédit déjà existantes (recours au fonds de secours européen). L’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Grèce, vont pouvoir tirer environ 70 milliards d’euros sous réserve naturellement que les conditions leur conviennent.
- L’absence de solidarité financière crée des inégalités croissantes au sein de la zone monétaire ce qui a pour effet d’attiser les divisions. Selon le FMI, l’euro est fortement sous-évalué pour l’Allemagne. Il agit donc comme un produit dopant. L’euro est en revanche surévalué pour des pays comme la France et l’Italie. Il agit comme des semelles de plomb. L’écart de parités serait considérable, dit le FMI, de l’ordre de 30 à 40%.
- L’excédent de la balance courante allemande est à un niveau inédit depuis dix ans (entre 6 et 9% du PIB). La production industrielle a progressé de 31% en Allemagne depuis vingt ans alors qu’elle a baissé de 3% en France et de 15% en Italie. La dette publique représente 61% du PIB en Allemagne au lieu de 100% en France (au lieu de 60% du PIB pour les deux pays en 2000). L’Allemagne domine la zone monétaire et cette domination ne cesse de s’accroître.
- Pour un pays comme l’Italie, confrontée à une dette qui va bondir de 137% à 170% du PIB, c’est-à-dire à un niveau proche de celui de la Grèce, les «chemins semblent fermés de toute part»: ni aide financière, ni possibilité de restructuration de dette, ni mise en place d’un plan de sauvetage accompagné d’une Troïka. L’humiliation serait inacceptable. Si l’Italie n’était pas dans l’euro, elle pourrait vivre avec un niveau de dette élevé car les parités monétaires s’ajusteraient. De plus, facteur très favorable, les Italiens détiennent une grande partie de leur dette. Mais, au sein d’une zone monétaire, cela est impossible car les taux d’intérêt s’envolent aussitôt. Seule la solidarité financière permet de stabiliser la situation.
Note
La crise du Covid-19 et le confinement produiront une récession et un déficit massifs. Les marchés financiers vont anticiper ces déficits pour des pays qui ont déjà une dette publique très importante. L’Italie et l’Espagne pour qui l’économie au noir représente une part importante vont sans doute souffrir le plus. Fin 2019, la dette publique italienne était de 136,2% du PIB, celle de la France de 98,1% et celle de l’Espagne de 97,5%. Même s’ils partagent la même monnaie, les différents pays de la zone euro n’empruntent pas au même taux d’intérêt car le marché ajoute une prime de risque de solvabilité, liquidité mais aussi de convertibilité (si un pays retrouve sa monnaie nationale et qu’elle se déprécie). Par conséquent, pour ce qui est des obligations d’État à 10 ans, l’Allemagne emprunte à -0,4%, la France à 0,1%, l’Espagne à 0,7% et l’Italie à 1,5%.
On peut anticiper que pour l’Italie, l’Espagne et la France la crise du coronavirus amènera un déficit de plus de 10% pour 2020 et une récession de l’ordre de -15%. Pour l’Italie, cela veut dire une dette qui dépassera largement les 150% du PIB à fin 2020. Dans ces conditions, même un assouplissement quantitatif d’envergure aura du mal à empêcher une hausse du taux d’emprunt.
Comme les pays du nord ne veulent pas mutualiser les dettes, une autre solution serait des transferts budgétaires massifs dans le cadre du budget de l’UE. Cela ne fonctionnerait pas car la France et l’Italie sont des contributeurs nets et seraient encore plus saignés.
L’accord de l’eurogroupe du 9 avril sans condition ne concerne que les dépenses de santé et dans la limite de 2% du PIB, soit 35 milliards d’euros pour l’Italie. Quand on sait que pour une année normale, l’Italie doit lever environ 400 milliards d’euros. En 2020, elle aura sans doute besoin de lever 600 milliards d’euros. Ce MES sans condition couvrira moins de 6% des besoins de financement. Cela n’empêchera pas l’envolée des taux.
Si l’Italie quittait l’euro, ce serait fatal. L’Italie est la 3e économie de la zone euro. L’Espagne et la France devraient sortir car l’Italie est un concurrent direct. L’Italie avec une monnaie dépréciée, adaptée à son économie, serait un choc trop grand pour éviter une sortie en chaîne. Un éclatement total de la zone euro s'en suivrait.
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