LA FRANCE EST LA SEULE MONARCHIE DE L'UNION EUROPEENNE

Auteur: Jean-Pierre Dubois

La 5ème République de la France, reste 61 ans plus tard une République bien peu démocratique au-delà des proclamations de principe.

La France est la seule monarchie de l'Union européenne. "Monarchie" n'est pas "royauté": Le "monarque" est celui qui exerce seul le pouvoir politique réel. Or, la reine d'Angleterre ou le roi d'Espagne ne gouverne pas, tandis que le "monarque élu" tous les cinq ans en France bénéficie d'une concentration des pouvoirs qu'on ne retrouve dans aucune démocratie. Le tempérament du monarque n'est pas la cause de la monarchie, mais seulement un facteur de variation du style de son exercice.

Parout en Europe, le gouvernement est une affaire collective et pluraliste: les "chefs de gouvernement" ne décident pas seuls, les ministres ne sont pas des exécutants, aucun parti ne verrouille les choix essentiels ni n'est au service d'un seul homme. Même aux Etats-Unis, où le Président détient l'essentiel du "pouvoir exécutif", il ne peut rien faire d'important sans l'accord du Congrès, et la Cour suprême jour un rôle considérable, sans parler du partage entre l'Etat fédéral et les 50 Etats fédérés. En France, ce qu'a décidé le Président de la République est exécuté sans aucune discussion réelle par le gouvernement et voté quoi qu'il arrive par la majorité des députés: un seul homme fait la loi, au-delà des "formalités" constitutionnelles. Tous les cinq ans, le peuple choisit un "monarque élu", dont on attend un "état de grâce", qui laisse vite place à la déception devant l'écart entre les mots et les actes. Et l'élection suivante se joue sur le passé (chasser celui qui a déçu) plus que sur l'avenir (choisir un projet politique).

Tel est la loi d'airain du présidentialisme: pas de délibération réelle, pas de conséquences politiques des débats parlementaires (puisque les modes de scrutin mutilent le pluralisme), pas de responsabilité politique des gouvernants (le gouvernement est responsable devant les députés, mais ce n'est pas lui qui décide de l'essentiel, et celui qui décide vraiment n'est responsable devant personne jusqu'à la fin de son mandat... s'il se représente).

 On dira qu'il est impossible de revenir sur l'élection présidentielle au suffrage direct.. mais 19 pays européens Autriche, Irlande, Portugal, Finlande, Pologne etc. la connaissent aussi sans pour autant le Président y prenne la place du gouvernement! Il suffirait de retirer au Président de la République la présidence du Conseil des ministres et la signature des décrets pour rendre à la détermination des politiques de la Nation, la dimension de collégialité et de débat pluraliste sans laquelle les jeux sont faits d'avance et toutes les cartes maîtresses sont dans une seule main.

Car le "présidentialisme" concentre d'autant plus le pouvoir que les contrepoids au ppuvoir présidentiel sont faibles sinon inexistants.

  1. L'Assemblée nationale reste pour l'essentiel, à cause du scrutin majoritaire et du calendrier électoral qui fait des législatives une simple "suite logique" de la présidentielle, une chambre d'enregistrement.
  2. Le Sénat n'est toujours pas représentatif de la réalité d'une France très majoritairement urbaine, et son mode d'élection, même retouché en 2003, continue à déformer le suffrage universel.
  3. Les membres du Parquet, encore soumis hiérarchiquement au gouvernement, ne sont pas assez indépendants du politique pour que la Cour européenne des Droits de l'Homme les considère comme de véritables "magistrats".
  4. Les membres du Conseil constitutionnel, comme de la plupart des Autorutés indépendantes, continuent à être désignés par les plus hauts gouvernants du moment, alors que par exemple les juges constitutionnels allemands sont élus à la majorité des deux tiers pour éviter les monopoles partisans.

Bref, la réalité du régime politique français, est très éloignée de la notion de "séparation des pouvoirs", ou plutôt d'équilibre des pouvoirs, qui est une pierre de touche des institutions démocratiques.

Mais rééquilibrer les pouvoirs ne suffirait pas à réoxygéner une démocratie aujourd'hui asphyxiée. Car ce n'est pas seulement en France que la "démocratie de délégation", de plus en plus mal supportée par les citoyens, les éloigne du pouvoir réel au point de provoquer un désintérêt croissant pour la politique. Le mandat représentatif dessaisit les cutoyens entre deux élections: des promesses sont faites, les élus n'ont pas à les tenir, les électeurs doivent attendre 5 ans pour en tirer les conséquences. Sauf quelques dimanches électoraux, ils se sentent "gouvernés" mais pas "souverains". Dans des sociétés où le niveau d'éducation et d'information a considérablement augmenté, où les nouveaux médias permettent une réactivité et une interactivité quotididenne dans tous les aspects de la vie, cela crée un gouffre entre représentants et représentés. On ne peut, certes, pas rassembler tous les citoyens pour décider tous ensemble tous les jours, mais il faut mettre la représentation sous contrôle citoyen, pour rétablir la réalité du rapport démocratique entre le peuple et ceux qui décident en son nom etr par sa volonté. Il y a des moyens de permettre au suffrage universel de défaire ce qu'on fait les représentants ou d'interrompre un mandat en cours; cela existe dans certains pays (Suisse, Italie, Etats-Unis dans certains Etats fédérés, etc.). S'en inspirer, créer de nouveaux outils démocratiques, mettre fin au désenchatement démocratique" pour que les citoyens ne s'éloignent pas du politique, il faut que la politique cesse de s'éloigner du citoyen.

L'institutionnel ne saurait constituer la seule clef du renouveau- il est bien d'autres urgences civiques et sociales- mais les pertes d'embrayage démocratique font obstacle à la traduction politique de ce renouveau éventuel: l'absence de confiance dans l'efficacité du politique est largement due à l'affaiblissement de la prise du citoyen sur les pouvoirs décisifs, et à son tour cette méfiance gêne la mise en forme de projets novateurs. Ainsi, le renouveau démocratique n'est certes pas la condition suffisante du retour au progrès social, mais il en est sans aucun doute une condition nécessaire.

Une "refondation républicaine", visant à intéresser réellement les citoyens à la participation politique et à rendre plus effectif leur pouvoir sur les gouvernants, ne peut plus attendre si l'on persiste à prendre la démocratie au sérieux.

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